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La Responsabilité Civile des Dirigeants Sociaux

16 octobre 2024

Rédigé par : Marc Huynh

La responsabilité civile des dirigeants sociaux est une question juridique complexe mais fondamentale pour toute entreprise française. Notre article décrypte pour vous les règles essentielles, les fondements des actions en responsabilité et les jurisprudences clés. Un guide concis et accessible pour les dirigeants et les parties prenantes souhaitant maîtriser ce domaine crucial.

I. Identification des Dirigeants Visés

A. Les Dirigeants de Droit

La responsabilité civile peut être engagée à l'encontre des dirigeants de droit, c'est-à-dire ceux nommément désignés par les organes sociaux compétents. Dans le cadre d'une société anonyme (SA) traditionnelle, cela inclut notamment le directeur général et l'administrateur . La Cour de cassation a ainsi affirmé que le simple administrateur peut voir sa responsabilité engagée (Com. 31 mai 2011, n° 09-13.975), soulignant la portée étendue de cette responsabilité. Il est important de noter que, sauf cumul des fonctions, le président du conseil d'administration n'est généralement pas considéré comme un dirigeant au sens de cette responsabilité.


B. Les Dirigeants de Fait

Sont également concernés les dirigeants de fait, soit les personnes qui, sans mandat social apparent, exercent en toute indépendance une activité de direction au sein de la société, que ce soit directement ou par personne interposée.


II. Les Actions en Responsabilité : Titulaires et Fondements

Le régime de la responsabilité varie selon l'auteur de l'action.

A. L'Action Émanant de la Société

La société peut engager une action en responsabilité contre ses dirigeants en cas de manquement, qu'il s'agisse d'un acte positif (tel qu'un acte de concurrence déloyale) ou d'une abstention (comme un défaut de surveillance). Cette action, généralement intentée par le nouveau dirigeant contre l'ancien, peut également être exercée par les associés minoritaires détenant au moins 5% du capital social, agissant alors au titre de l'action sociale ut singuli . Les dommages-intérêts obtenus sont versés à la société.

La Cour de cassation a cependant précisé, dans une décision relative à l'action ut singuli, qu'une telle action intentée par des actionnaires minoritaires d'une société-mère contre les dirigeants de ses filiales est irrecevable (Com., 13 mars 2019, n° 17-22.128), limitant ainsi la portée de cette action dans les groupes de sociétés.


B. L'Action Émanant d'un Tiers

La responsabilité personnelle du dirigeant à l'égard des tiers est soumise à des conditions strictes. Elle ne peut être retenue qu'en cas de faute détachable de ses fonctions, c'est-à-dire une faute commise en dehors du cadre normal de leurs fonctions. La jurisprudence définit cette faute comme un acte intentionnel d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales (Com. 20 mai 2003, n° 99-17.092).

Des exemples de fautes détachables reconnues par la jurisprudence incluent :

  • La cession frauduleuse de la même créance à deux banquiers, afin de tromper les tiers sur la solvabilité de la société (Com. 7 juill. 2004, n° 02-17.729).

  • La participation délibérée, de manière personnelle et active, à des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale (Com. 7 juill. 2004, n° 02-17.729).

  • La commission d'une faute constitutive d'une infraction pénale intentionnelle (Com. 23 sept. 2010, n° 09-66.255).


C. L'Action Émanant d'un Associé

Un associé peut agir en responsabilité contre un dirigeant à condition de justifier d'un préjudice personnel, distinct de celui subi par la société ou la collectivité des associés. Dans ce cas, la responsabilité du dirigeant peut être engagée même pour des fautes non détachables de ses fonctions (Com. 9 mars 2010, n° 08-21.547).


III. Le Régime Juridique de la Responsabilité Civile

A. Caractère d'Ordre Public

Le régime de la responsabilité civile des dirigeants est d'ordre public. Ainsi, toute clause statutaire visant à subordonner l'action sociale à une autorisation préalable ou comportant une renonciation anticipée à cette action est réputée non écrite. De même, aucune décision d'assemblée ne peut éteindre une action en responsabilité pour faute commise dans l'exercice du mandat. Le quitus donné au dirigeant pour sa gestion n'empêche pas l'exercice ultérieur d'une telle action.


B. Pluralité de Dirigeants

En cas de pluralité de dirigeants, seul celui ayant commis le fait dommageable est, en principe, poursuivi. Toutefois, si plusieurs dirigeants ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.   


C. Prescription et Compétence

L'action en responsabilité se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou de sa révélation s'il était dissimulé. Ce délai est porté à dix ans lorsque le fait est qualifié de crime. Les actions en responsabilité sont portées devant le tribunal de commerce.


IV. Responsabilité en Cas de Liquidation Judiciaire

En cas d'insuffisance d'actif révélée par la liquidation judiciaire d'une personne morale, le tribunal peut décider que les dettes sociales seront supportées, en tout ou partie, par les dirigeants de droit ou de fait ayant contribué à une faute de gestion ayant causé cette insuffisance. En cas de pluralité de dirigeants, ils peuvent être déclarés solidairement responsables. Cette action spécifique, dénommée action en responsabilité pour insuffisance d'actif, se prescrit par trois ans à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire ou la résolution du plan (C. com., art. L. 651-2).


V. Conseils Pratiques aux Dirigeants

A. Les Risques d'Engager sa Responsabilité Civile

En tant que dirigeants, vos pouvoirs sont encadrés par la loi et les statuts. Tout dépassement de ces limites constitue une faute susceptible d'engager votre responsabilité civile personnelle, notamment en cas de :

  • Non-respect des dispositions législatives (par exemple, en matière de sécurité).

  • Non-respect des clauses statutaires (par exemple, en agissant au-delà de vos pouvoirs).

  • Faute de gestion (par exemple, en mettant en œuvre une politique financière ou commerciale imprudente).


B. Qui Peut Demander Réparation ?

Les personnes susceptibles de demander réparation incluent :

  • La société elle-même.

  • Les associés de la société.

  • Les tiers ayant subi un dommage (salariés, clients, etc.).


C. Comment Engager la Responsabilité Civile ?

L'engagement de la responsabilité civile d'un dirigeant passe généralement par une action en responsabilité intentée par la partie lésée devant les tribunaux compétents. En cas de succès de cette action, le dirigeant peut être condamné à verser des dommages et intérêts.

Il est important de rappeler que, dans certains cas spécifiques prévus par la loi, la responsabilité pénale des dirigeants peut également être engagée (abus de biens sociaux, distribution de dividendes fictifs, non-établissement ou présentation de comptes infidèles, non-dépôt des comptes annuels).


D. L'Importance de l'Assurance Responsabilité Civile

La souscription d'une assurance responsabilité civile des dirigeants peut être une solution pertinente pour protéger votre patrimoine personnel en cas de condamnation civile. Il convient de vérifier attentivement les conditions et exclusions de telles polices, qui ne couvrent généralement pas la responsabilité pénale. La société elle-même peut parfois souscrire une telle assurance au profit de ses dirigeants, en veillant au respect de la procédure des conventions réglementées.


En conclusion, une gestion rigoureuse et conforme aux dispositions légales et statutaires est primordiale pour prévenir l'engagement de la responsabilité civile des dirigeants sociaux en France. Une compréhension approfondie de ce régime juridique est essentielle pour exercer ses fonctions en toute sécurité.

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